La santé mentale n’est plus un sujet tabou, mais un levier stratégique. Écouter, prévenir, respirer : trois verbes simples pour transformer la culture du travail.
Cet article est tiré de l’épisode Prod’Way avec Vanessa Prillard, psychopracticienne et formatrice en premier secours en santé mentale. A écouter sur Spotify, Apple Podcast, Deezer ou Acast.
La moitié des salariés français se disent aujourd’hui en détresse psychologique. Dans la production IT comme ailleurs, la pression, l’isolement et la fatigue cognitive pèsent lourd sur les équipes. Comment prévenir plutôt que réparer ?
À travers le témoignage de Vanessa Prillard, psychopraticienne et formatrice en Premiers Secours en Santé Mentale, cet article explore une conviction simple : on ne peut pas bien faire sans aller bien.
Pendant des décennies, la santé mentale est restée le grand impensé du monde professionnel. Dans la production IT comme ailleurs, on parlait de disponibilité, de SLA, de performance — jamais d’émotions.
Puis le Covid est arrivé, et tout s’est fissuré. Isolement, incertitude, télétravail massif, perte de sens : en quelques mois, le mal-être est devenu visible. Les entreprises ont vu l’absentéisme grimper, les reconversions se multiplier, et la question du bien-être psychologique s’imposer dans les comités de direction.
“La moitié des salariés sont en détresse psychologique”.
Un chiffre vertigineux, qui traduit autant une souffrance qu’un besoin : celui de repenser nos organisations à hauteur d’humain.
Fatigue, tensions, insomnies, troubles digestifs : le corps parle avant les mots.
Pour Vanessa, il faut apprendre à écouter ces signaux faibles :
“Qu’est-ce qui a changé chez moi, ou chez l’autre ?” Un changement de rythme, d’humeur ou de comportement est souvent plus révélateur qu’un discours.
Cette vision globale réunit le mental et le physique. La santé mentale n’est pas un état figé, mais un équilibre mouvant — un ajustement constant entre pression, récupération et lien à soi.
Les deux se ressemblent, mais n’ont rien de commun.
Le burnout est une fuite en avant : hyperactivité, surinvestissement, peur du futur, difficulté à s’endormir.
La dépression, elle, est un effondrement : ralentissement général, culpabilité tournée vers le passé, réveils nocturnes à répétition.
Dans les métiers de la production IT, où l’urgence est permanente, le burnout est un risque systémique. C’est pourquoi la prévention doit devenir une compétence managériale, pas un simple dispositif RH.
Un manager ne peut pas “sauver” ses collaborateurs. Mais il peut créer un cadre où la parole est possible.
Cela commence par l’exemple : dire “je ne vais pas bien”, montrer qu’on peut être vulnérable sans être faible, écouter sincèrement les réponses aux fameux “comment ça va ?”.
La sécurité psychologique naît de ce climat de confiance, où l’on sait qu’on peut parler sans crainte du jugement.
C’est aussi un enjeu d’organisation : répartir la charge, planifier de vrais temps de récupération après les crises, et valoriser les moments de célébration, même modestes. Car dans la course au résultat, on oublie souvent de dire “merci” ou “bravo”.
Pour Vanessa, la santé mentale s’appuie sur cinq piliers simples mais essentiels : le sommeil, l’alimentation, l’activité physique, le lien social et le contact avec la nature.
Le sommeil d’abord : réapprendre à s’endormir sans écran, sortir le téléphone de la chambre, alléger les repas du soir.
L’alimentation ensuite : se demander “ai-je faim ou est-ce juste l’heure ?”, boire plus d’eau, manger moins mais mieux.
L’activité physique : bouger pour libérer les tensions.
Le lien social : rester connecté aux autres, même quand la fatigue pousse à l’isolement.
Et enfin, la nature : marcher, respirer, sentir la lumière du jour. “Ce n’est pas perché, dit Vanessa. C’est biologique.”
S’il ne fallait garder qu’une seule habitude, ce serait celle-là : respirer consciemment.
Cohérence cardiaque, pranayama, respiration profonde : trois minutes suffisent à apaiser le mental et à réguler le corps.
“La respiration, rappelle Vanessa, permet d’évacuer, de détoxifier, d’apaiser. C’est la base de tout.”
Dans un univers où tout s’accélère, c’est aussi une forme de résistance douce : un moyen de ralentir sans renoncer.
La santé mentale ne s’improvise pas. Elle se cultive. Les Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) offrent une formation certifiante en 14 heures pour repérer les signaux, adopter la bonne posture et orienter les personnes vers le bon soutien. Comme pour les gestes de premiers secours physiques, il ne s’agit pas de soigner, mais de savoir aider.
Autre levier : la Fresque de la santé mentale, un atelier collectif et ludique pour aborder le sujet sans tabou. Ces formats déclenchent une dynamique : ils permettent d’ouvrir la discussion, de poser un vocabulaire commun, et de bâtir une culture d’entreprise plus consciente.
La production IT condense toutes les contraintes modernes : disponibilité 24/7, astreintes, incidents critiques, course à la performance.
Mais c’est aussi un formidable laboratoire pour repenser la résilience humaine. On peut y expérimenter de nouvelles pratiques : planifier la récupération après incident, filtrer les alertes inutiles, ou même organiser des “game days humains” — des exercices où l’on apprend à réagir collectivement quand un membre de l’équipe ne va pas bien.
Parce que, finalement, la robustesse des systèmes commence par celle des personnes.
Les organisations qui prennent la santé mentale au sérieux ne sont pas seulement plus bienveillantes : elles sont plus performantes. Moins d’absentéisme, plus de stabilité, plus d’engagement.
Le bien-être n’est pas un luxe. C’est un facteur de durabilité. Mais pour que cela fonctionne, il faut dépasser les slogans et agir en profondeur : former les managers, ouvrir le dialogue, et reconnecter la performance à l’humain.
“Respire.” Ce mot, simple et universel, est le meilleur conseil que Vanessa ait reçu.
Respirer, c’est faire de la place : pour soi, pour les autres, pour la vie qui circule dans la pression du quotidien.
La santé mentale n’est ni une mode, ni un gadget RH. C’est un choix d’organisation : celui de bâtir des environnements où les gens peuvent durer sans se briser, apprendre sans s’épuiser, créer sans se perdre.
Alors, avant d’ouvrir votre boîte mail ou de lancer un nouveau sprint : inspirez profondément.
Parce qu’à la fin, c’est toujours par là que tout commence.